Valéry Giscard d’Estaing est donc mort hier des suites du Covid-19. L’Europe perd un grand européen, et la France un autre de ses anciens présidents à un an d’intervalle de la mort de celui qui fut son grand rival politique.
C’est un homme de paradoxes qui disparaît après une très longue vie consacrée à la politique nationale et européenne. Une longue vie expose à l’évolution du jugement de ses contemporains, et Giscard aura été évalué et compris différemment en fonction des époques, parfois mal, ce qui pose aussi la question du timing pour un homme dont la carrière en a peut-être manqué, arrivant en France un peu trop tôt, et en Europe un peu trop tard.
C’est aussi qu’il est difficile de faire rentrer ce centriste libéral pro-européen dans les cases préconçues de l’analyse politique à la française. Trop à gauche pour la droite, pas suffisamment tricolore, beaucoup trop européen, beaucoup trop « moderne » et libéral politiquement, pas assez économiquement (pour Chirac), trop à droite pour la gauche, trop rigoriste, trop grand bourgeois ringard et distant, trop libéral économiquement, trop pré-thatchérien etc. La France n’est certes pas un pays de centre, ou ne se perçoit pas comme telle plutôt. Giscard aurait fait fureur dans la démocratie chrétienne en Italie, pays où il est d’ailleurs apprécié. Il sera regretté différemment au dehors et au dedans. Sans doute critiqué exagérément en France, et loué peut-être tout aussi exagérément en Europe.
VGE aura été un jeune président d’une République encore largement gaulliste, nationalo-centrée, étatiste et conservatrice, et son bilan sera sans doute réévalué avec le temps. Malgré ses diamants qui ont été complaisamment astiqués par son opposition, il a pourtant peu de cadavres dans son placard à l’échelle de la concurrence, certes de haut vol à cet égard, de ses homologues de la Ve. Mais il aura surtout contribué, incontestablement, à faire entrer la France dans la modernité et évoluer sur le plan sociétal avec des réformes majeures, un comble pour ce Kennedy aux allures de hoberau de province, tout en menant une politique d’ouverture internationale et européenne en particulier avec Schmidt, le couple franco-allemand prenait son envol. On lui doit les inventions de l’ancêtre du G7 et du Conseil européen, qui montrent son activisme international visionnaire et son prisme multilatéral dans lequel il voyait les Etats comme des acteurs majeurs, y compris dans l’UE, dont il a toujours eu au fond une vision confédérale.
Poursuivant une carrière à rebours, l’ancien président à la particule fantaisiste et au style si poudré n’hésitera pourtant pas à redevenir simple député national puis européen, président de Conseil régional aussi. D’autres ex n’ont pas cette forme de simplicité même si leur style se veut plus « peuple » (mais sans accordéon).Il sera ensuite devenu un vieux président de la Convention sur l’avenir de l’Europe, ménageant la chèvre fédérale et le chou intergouvernemental, accouchant dans cette ambiguïté mal communiquée d’un échec sanctionné par son propre pays qui découvrait, incrédule, la possibilité d’une Europe politique sans savoir quelle forme vraiment elle devrait prendre. Mais VGE avait-il lui même les idées au clair sur la question ?
Malgré cet échec, il continuera son activisme européen en se faisant le défenseur d’un noyau européen de pays plus intégrés en étant favorable à l’union fiscale, mais sans jamais pourtant parvenir à penser la solution en termes fédéraux.
VGE aura une postérité, le temps fera son œuvre, et elle sera très vraisemblablement davantage européenne que nationale. Il se peut d’ailleurs qu’il ne soit pas le seul président de la Ve à subir ce sort.
(crédits photo © European Union 2014 – EP)